Où est la poésie, demande-t-on parfois ?
Elle est là, devant votre poème, comme son ombre blanche. Toujours un peu devant. Juste un peu.
Où est la poésie, demande-t-on parfois ?
Elle est là, devant votre poème, comme son ombre blanche. Toujours un peu devant. Juste un peu.
Je suis le vent, je suis l’aurore, je suis le sang et la fatigue encore, je suis l’élan et la branche tombée, je suis le bleu de tes yeux mouillés et le cri blessé, je suis la voile au loin dont je ne sais si elle va ou revient, je suis le bois flotté, le galet roulé, la peau tannée, et l’injure et le jeu et le flux, l’amertume, je suis la vie qui passe et la mort qui attend, je suis l’assiette et le fauteuil, le trottoir et le départ, je suis la mariée, le veuf et l’orpheline, le sucré, le salé, la virgule, le cahier, le crayon bien taillé, je suis la peur et la jalousie, l’éclat de rire et l’effronterie, je suis la source et l’embouchure, l’évier, le lavabo et la chasse d’eau aussi, je suis le retard, je suis le progrès, je suis le défaut et le succès si vous voulez, je suis la mère, le fils, la cousine, la marchande et le pêcheur, l’alcoolique et le menteur, je suis la bougainvillée, le jasmin de nuit, la mangue josé, je suis le premier jour de vacances, la dernière fois qu’on en parle, la deuxième chance avant la fin, la jolie voisine du troisième, je suis la vague et le château, le livre ouvert, le poing fermé, le jaune d’œuf et le verre d’eau, le piment vert et l'émotion, le chapeau sur les yeux et le sac sur l’épaule, je suis je suis, je suis tant et tant et si peu pourtant, je suis toi, je suis moi ou peut-être pas, je ne sais plus, je suis je suis je suis, quelle importance ?
Le monde est un théâtre et j’essaie tous les rôles, abandonné et confiant, le galet, le sourire, l’impatience et l’amante.
Laissant la nuit à ses fantasmes, redoutant le jour et ses commerces, je fréquente les êtres de l’aube, passants fluides et éphémères, prostituées, éboueurs, noctambules ou forains que le matin honore.
Courtise le vent, et si tu le trouves volage et bavard, sache aussi qu’il est savant et parfumé.
Tu m’as manqué
dit la nuit
chaque soir
à la terre
et l’emmène
en secret
oublier
à voix basse
ses journées éblouies
et gonflées d’aventures.
Saurais-tu sculpter le creux de la vague et pourrais-tu me dessiner une nuit blanche, comment traduirais-tu, ô poète, la rumeur des âges et l’ivresse des sens, saurais-tu chanter la peur du silence ou le sourire de la vie ou l’envol du cœur ? Il te reste tant à faire, berger du sens et gardien des chants, il te reste tant à faire, toi qui portes le monde, toi qui veilles et qui ouvres.
La poésie est pauvre
un souffle
à peine
et nue
la vie
pas plus.
Mes mains creuses comprennent mal tes vagabondages, de vagues en ressac et de naufrages en amarrages ; c’est mon chant qui dessine le mieux ton rythme capricieux et tes horizons sans famille.
Ne sont-ce pas les mêmes qui vous disent n’avoir ni le temps ni le désir de lire trois pages de poésie et vous assomment, des siècles durant, à grands coups de banalités.
Que gagnes-tu à perdre ton temps ?
Et à le prendre, qui lèses-tu ?
La fleur longtemps désire son fruit.
Encore blanc et franc le matin déjà refoule le noir agité des trottoirs urbains privés de nom. Des voix se croisent et des vies s’inversent, la soif s’éteint et j’ai faim.
Le jour où le jacaranda s’affole, ne le manque pas. Le reste peut attendre.
Fertile en rêves, et c’est bien, ouvert aux vents du désir, le ciel abrite nos orages et nos espoirs couleur de feu, et c’est beau. Mais aujourd’hui, honore la boue, chéris l’écorce.
« C’est épatant ! », « quel toupet ! », « tu es inénarrable ! », « totalement suranné »… Suranné, oui, justement, allez-vous dire.
Je me demande, moi, si l’on oublie ces mots parce qu’ils sont vieillots ou s’ils vieillissent parce qu’on les oublie.
Dans le doute, je les réécris, toupet, épatant, inénarrable.
La nuit est joueuse quand elle vient et fascinante mais fête aussi les matins et ceux qui les portent.
Et d’une main caresser l’horizon et de l’autre sculpter des terriers.
J’aime les livres impatients comme les matins et les sentiers plus longs que la fatigue.
Dans la loge claire de mon silence, j’ai trouvé ces mots simples que j’écris et cela suffit : la lumière des âges et le sillage du monde.
Il est des mots pour soigner les rêves cabossés, d’autres pour réparer les corps chiffonnés, des mots encore pour lever et crier.
La mer, inlassablement, sans vocation pourtant, sans mission ni regret, seulement là, offerte à tous les jeux, à tous les drames, la mer, insaisissable et voyageuse, qui se prête, si l’on y tient, à toutes les nostalgies, les escapades, les illusions, sans insistance, sans espérance, aux noms multiples, la mer est là aussi, simple et fiable, qui ne juge pas, qui n’appelle pas, et n’élit pas, la mer, simple et fiable, comme un autre sol.
Quand il ne trouve pas la réponse, l’homme de science écrit de la philosophie ; quand il est à court d’idée, le philosophe écrit de la poésie ; quand il n’a plus de papier, le poète jette des cailloux dans l’eau.
Voilà qui est bien rassurant en ces temps incertains.
Qu’importe les lendemains poisseux et les retours pluvieux, les horizons truqués, les rivages perdus, qu’importe les escales miteuses et les errances sans quête, qu’importe, les Indes appellent.
Tu meurs comme un monument
Tu mens comme un artisan
Tu mords comme un hiver noir
Tu vis comme un nœud d’envies
Tu mises comme un roi des îles
Tu aimes comme aux temps des jeux
Homme, enfant terrible et incertain
Tes excès te vont bien.
Ils sont amis ceux que la nuit honore
Amis aussi ceux que midi épargne
Le colporteur et l’arpenteur
Et l’amant bigarré et l’athée vigoureux.
Cherche la ligne, je veux dire le geste vital qui porte et annonce, elle promet des crépuscules apaisés et résonne toujours du brouhaha des départs, entre désir et dénouement, toujours animée, toujours allante, elle sinue et lève, parfois secrète, parfois lovée en des retraits paresseux ou honteux, cherche la ligne, jamais rompue, jamais hostile, elle aime tes ombres et ne craint pas tes élans, la ligne tient et relie, cherche-la, sens-la, elle dessine la carte des corps et trace la silhouette du temps.